La composition des colorants

  • LA COMPOSITION DES COLORANTS 
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Dès le paléolithique, les colorants font l’objet une véritable organisation de stockage et de distribution de type production/transformation, gros, demi-gros, détail, de structure étoilée, sur des étendues couvrant plusieurs centaines de kilomètres carrés !
On peut classer par familles chimiques les principaux éléments qui composent les colorants, mais pour les peintres il est plus naturel de les considérer selon leurs nuances, bien que la connaissance des compositions chimiques fasse partie du savoir indispensable pour une exécution correcte d’une toile. La connaissance des principes de base des mélanges de ces éléments chimiques (il ne faut jamais l’oublier, les couleurs d’un tube de peinture ne sont que des composés chimiques) doit être maîtrisée par l’artiste, sous peine de voir son oeuvre se dégrader de façon progressive, irrémédiablement, et perdre tout le fin travail d’accord des teintes recherchées patiemment sur la palette et voulu lors de l’exécution.
  • L’EXEMPLE DE VAN GOGH ET DE COURBET 
Il faut noter que tous les mélanges entre des sulfures et des plombs ont une réaction chimique dans le temps totalement néfaste : ils noircissent ou verdissent. Il en est de même de tous les chromates.
À ce sujet, on peut se rendre compte de ces problèmes de compatibilité chimique dans les toiles de Van Gogh. Pour avoir une grande puissance dans ses jaunes, il a beaucoup utilisé le jaune de chrome (chromate de plomb), mélangé à un peu de blanc.
L’analyse par spectroscopie aux rayons X réalisée début 2011 par une équipe de physiciens et de chimistes italiens, belges et néerlandais, au synchrotron européen de Grenoble (ERSF) des mêmes peintures prélevées dans des restes de tubes de l’époque a donné des indications précises sur ce phénomène.
Après avoir fait vieillir par exposition aux rayons UV les restes d’un tube, les chercheurs constatèrent un processus de dégradation de la saturation rendant les jaunes plus ou moins marrons, de la teinte identique à celle de la toile étudiée. Ils ont alors, avec l’accord de la direction du musée Van Gogh, fait des prélèvements microscopiques sur une toile du peintre.
Après analyse de la composition en éléments métalliques présents dans la peinture « fraîche » puis vieillie et de celle de la toile, il fut constaté une similitude de perte de teinte et la transformation identique de la composition chimique des éléments analysés.
De plus, tous les jaunes de chrome ne réagissent pas de la même manière, les plus clairs étant ceux qui brunissent le plus vite quand ils sont exposés aux rayons UV. Or on sait que Van Gogh mettait un peu de blanc dans ses jaunes pour en accentuer la clarté et la puissance, et les analyses ont révélé la présence de baryum et de soufre dans son blanc.
On sait que le soufre et le plomb en contact entraînent une réaction de brunissement de la peinture, ce qui, s’ajoutant à l’action des rayons UV de la lumière, accentuerait le mauvais état de conservation des couleurs des toiles de ce grand peintre. On peut considérer que ces toiles sont « désaccordées » et que nous les voyons de façon dénaturée, comme si nous écoutions une oeuvre de Debussy sur un piano qui sonnerait faux.
Malheureusement, il ne fut pas le seul durant cette période à utiliser ces tubes de peintures fabriqués par des industriels, et de nombreuses toiles des impressionnistes et des mouvements parallèles issus de ce courant esthétique ont subi le même sort.
On connaît la catastrophe qu’a représentée l’utilisation, au XIXesiècle, du bitume de Judée, magnifique brun rouge, qui devient inexorablement noir avec le temps, qui migre et « mange » les couleurs sur toute la toile, provoquant de profondes craquelures du feuil (couche picturale).
À ce sujet, par exemple, il faut voir au Petit Palais, à Paris, la toile de Courbet intitulée Pompiers courant à un incendie, de 1851, qui a notablement noirci. Les relations entre les sciences et les techniques, au-delà de ces quelques cas cités, sont bien plus nombreuses et complexes.
Les outils les plus performants des laboratoires de physique et de chimie sont souvent requis pour aller plus loin dans notre connaissance des chefs-d’oeuvre, que ce soit pour analyser la technique d’un artiste ou les dessous cachés que peuvent révéler certaines pièces.

  • DES COULEURS ET DES SUBSTANCES
 
Dans les peintures pour artistes, on trouve ou on trouvait le plus souvent la palette suivante (entre parenthèses figurent les composants chimiques des différentes couleurs et nuances) :
– blanc : de céruse (hydrocarbonate de plomb), d’argent (carbonate de plomb), de zinc (oxyde de zinc), de titane (oxyde de titane) ;
– jaune : de Naples (antimoniate de plomb et sulfure de chaux), de chrome (chromate de plomb), de cadmium (sulfure de cadmium) ;
– rouge : vermillon (sulfure de mercure, minium), cinabre (sulfure de mercure naturel), de cadmium ;
– bleu : bleu outremer (sulfure de sodium et silicate d’alumine), bleu de cobalt (aluminate de cobalt), de Prusse (hexacyanoferrate de fer), de céruléum (stannate de cobalt) ;
– vert : de chrome (oxyde de chrome anhydre), émeraude (oxyde de chrome hydraté), Véronèse (acéto-arséniate de cuivre), de cadmium (sulfure de cadmium et oxyde de chrome) ;
– violet : de cobalt (phosphate de cobalt), de Mars (oxyde de fer et de cobalt), minéral phosphate de manganèse ;